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unir les aspirations du corps et de l’esprit

Assomption 2007

Que fêtons-nous exactement aujourd’hui ? Le fait que Marie ne soit pas morte comme tout le monde... Lorsque nous mourrons, nous expérimenterons une sorte de dissociation de notre esprit et de notre corps, l’esprit rejoignant le monde invisible tandis que le corps demeure ici pour un temps. Tandis « que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste. »1. Le dogme de l’Assomption date de 1950 mais elle est fêtée le 15 août depuis le VI°siècle.

Si Marie n’est pas morte comme tout le monde, pouvons-nous en tirer un enseignement qui nous concerne ? Pour tous, l’assomption de Marie souligne toute la valeur de notre corps. C’est tout entier, âme et corps, que nous sommes appelés à la vie éternelle. Nous le disons chaque dimanche en proclamant « je crois à la résurrection de la chair ». Je voudrais commencer par lever ici un malentendu qui s’installe petit à petit dans l’Église : la foi chrétienne ne parle pas d’une résurrection aussitôt après notre mort. Lorsque les gens célèbreront nos funérailles, ils ne célèbreront pas encore notre résurrection, mais ils sauront que notre âme n’est pas morte et prieront pour qu’elle voie déjà Dieu. Plus tard, nous ressusciterons tous ensemble, à la fin du temps, quand ce monde-ci sera arrivé au bout de sa course et que Dieu nous introduira tous ensemble dans la nouvelle terre, dont nous ne connaissons pas la physique mais où nous aurons un corps semblable à celui-ci, comme le Christ ressuscité avait un corps semblable à celui que les apôtres avaient connu avant la résurrection. Un corps qui ne mourra plus, un corps qui ne souffrira plus, mais qui sera pourtant un vrai corps.

Nous recevons ce message d’espérance tandis que notre corps nous paraît souvent si lourd, si peu accueillant à la grâce : il nous fait parfois souffrir, il trouble notre esprit par toutes sortes de maux de tête, de dent, de ventre et toutes sortes d’infirmités ; et il contrecarre aussi les aspirations de notre esprit par toutes sortes de résistances à un amour généreux : convoitise du corps, hésitations profondes à une conversion radicale pour être plus généreux et se donner vraiment...

Eh bien ce corps n’est pas un véhicule pesant, il est appelé à partager la gloire de Dieu et notre bonheur du ciel. Quand Dieu réunit en l’homme esprit et matière, ce n’est pas une œuvre passagère, c’est une œuvre dont il est fier et il veut continuer à nous en faire profiter. Ici sur la terre nous pouvons vivre une grande joie devant un paysage grandiose ou une musique superbe. Et certains déjà vivent l’événement extraordinaire d’une union des aspirations du corps et de l’esprit lorsque, dans le mariage, leur amour spirituel se vit aussi dans le corps. J’ose dire que dans la vie éternelle ce ne sera pas comme aujourd’hui où c’est seulement dans la vie du mariage qu’une vertu aussi spirituelle que l’amour peut se vivre dans le corps, mais, d’une façon que j’ignore tout à fait, la vie du ciel offrira à tous une telle réunion des élans du corps et du cœur. Le grand cas que Dieu fait du corps de Marie m’y fait penser. Je voudrais aussi citer saint Thomas d’Aquin qui au moyen-âge considère que notre bonheur ne pourrait pas être complet si nous étions privés de corps à notre résurrection : bien que l’âme puisse déjà connaître la béatitude tandis qu’elle n’est pas encore réunie à son corps, son bonheur augmentera à la reprise de son corps et sera alors vraiment parfait2.

Mais nous savons tous que ce bonheur ne sera atteint qu’après une purification, une purification que nous aurons recherchée et accueillie sur la terre et que certains devront poursuivre et recevoir sur le chemin du Ciel. Il faut vivre une purification, car il y a beaucoup de parasites qui gênent l’union des aspirations du corps et de l’esprit. Toute la morale sexuelle de l’Église ne vise d’ailleurs qu’à cette réunion ; il faut la voir dans ce cadre. Récemment je lisais un article captivant de John Eccles, prix Nobel pour ses découvertes sur le cerveau, un des plus grands neurologues du XX°siècle, devenu catholique, qui, en marge d’un courant très matérialiste qui ne considère nos idées les plus élevées que comme le produit d’influx neuronaux, explique comment il y a place pour une conscience indépendante du cerveau, qui agit sur lui à travers sa propre chimie1. En pensant au combat moral dans le cadre de sa théorie, je me suis dit qu’il faut du temps pour que le cablage des neurones de notre cerveau soit imprégné des choix de notre volonté d’aimer d’un amour désintéressé, du temps pour que ces déterminations physiques soient évangélisées à force de choix concrets en faveur d’un amour vrai.

Vivons dans le combat et l’espérance : peu à peu nous réconcilions les aspirations de notre esprit et celles de notre corps. Dans la fête d’aujourd’hui nous trouvons un appel à une vie toujours plus unifiée, dans un progrès constant. La prière à Marie peut nous aider : nous pouvons lui confier nos difficultés avec la pesanteur de notre corps, et puis aller de l’avant, joyeusement et très simplement.

1. Pie XII, Constitution apostolique munificentissimus Deus
2. Ia IIæ, question 4, article 5, réponse 4 et 5 (lire ici)
3. Pour lire un peu : Évolution du cerveau et création de la conscience. Vous trouverez une interview de John Eccles dans la rubrique “questions” de ces pages.