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Judas, et la foule...

homélie du vendredi saint

Hier matin, un enfant de l’école primaire me demandait lors de la prière de son école ici dans l’église : pourquoi Jésus a-t-il été condamné et tué puisqu’il était innocent ? Cette question nous place devant l’étrange mystère du mal. Que l’on réponde au mal par le mal, bien que ce soit regrettable, c’est toutefois logique. Mais que le mal naisse au milieu du bien, pour s’attaquer à l’innocent, voilà qui est inquiétant. Pourtant, cette tendance est en nous tous, et tous nous avons besoin d’être sauvé par le Christ : sauvés de notre dureté, de notre facilité à faire le mal, et du délabrement de notre cœur qui s’ensuit.

A côté de la question « pourquoi », il y a aussi la question « comment ». Comment le Christ se retrouve-t-il à mourir sur la croix ? Je voudrais ici relever le rôle de Judas et le rôle de la foule.

Pour que les adversaires de Jésus parviennent à leurs fins, Jésus doit être trahi par un ami. L’hostilité des grands prêtres ne suffit pas. Ce sera un de ses tout proches, un de ceux qu’il a choisi parmi tant d’autres, qui le livrera. Et Jésus le sait, et il ne fait plus rien pour l’empêcher : il accepte le geste de Judas. Pour mieux comprendre ce que Jésus réalise ce soir, je vous propose de regarder nos propres histoires.

Nous pouvons être blessés par les gens que nous connaissons peu, mais nous sommes bien plus durement blessés par nos proches : notre famille, nos amis. Dans l’autre sens, c’est envers ceux qui nous sont tout intimes que notre péché se révèle le plus comme porteur de destruction et de mort. En acceptant le geste de Judas, Jésus accueille vraiment tout le péché du monde dans ce qu’il a de plus blessant, de plus destructeur. Nous disons que Jésus est mort pour nos péchés. Quand il accepte d’être livré par un ami, Jésus prend vraiment sur lui toutes nos atteintes à l’amour. Quand il choisit de ne pas se défendre et de ne plus rien répondre, c’est alors qu’il se charge du mal commis dans le monde, pour nous en délivrer.

La foule joue aussi un grand rôle. Que fait-elle surtout ? Elle se laisse entraîner. Je pourrais parler de ceux qui ont décidé de faire mourir Jésus, comme de ceux qui décident aujourd’hui des actions de ténèbre, mais je voudrais surtout parler de la foule, car la foule, c’est nous tous, habitants de la Belgique, et il est important que nous tirions un enseignement de ce que fait la foule de Jérusalem.

Un jour en effet, comme cela a déjà eu lieu, des gens nous pousserons à admettre collectivement des choses que nous n’aurions jamais choisies si on nous l’avait demandé à tête reposée. Déjà maintenant l’opinion publique est façonnée par des groupes de pression, et nous plions sous le « politiquement correct ». C’est sûr, aujourd’hui encore la foule demanderait que Jésus soit éliminé car il est trop dérangeant.

Je ne dis pas cela pour que nous nous lamentions sur l’état de notre société. Je voudrais plutôt vous faire mesurer que notre amour du Christ nous demande d’être indépendants de tous les mouvements de foule, de mode, d’opinion. Le chrétien est quelqu’un qui regarde le monde et qui juge ce qui s’y passe à l’aune de ce qui est arrivé au Christ. Que le Saint-Esprit nous garde d’être des suiveurs, mais qu’il fasse de nous des gens éveillés, capables de déceler lorsque les petits sont bafoués, lorsque les sans voix sont mis de côté, lorsque les faibles sont cachés.

Le Christ n’est pas seulement celui qui a été mis à mort. Il est celui que le Père a ressuscité. Ce soir il nous oriente vers des chemins d’espérance et de vie. Ce soir, devant la croix, nous nous laissons toucher par la force que le Christ déploie dans notre faiblesse. Il veut nous guérir de toute dureté. Il visite les relations qui nous ont fait souffrir et celles où nous avons fait souffrir. Et il augmente notre capacité de résistance au mal : résistance au désespoir dans notre vie ; résistance à la contagion de l’égoïsme et de la désespérance dans notre société.