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Mais qu’est-ce qu’on fera dans la vie éternelle ?

messe des étudiants, 4 juin 2008

Vivre le temps présent en regardant vers la vie éternelle, cela semble une attitude dépassée, bonne pour quand la vie était si dure qu’on avait besoin de se consoler et de s’échapper comme on le pouvait. Aujourd’hui, je ne m’étonnerais pas que cela semble suspect de penser à la vie éternelle quand on a vingt ans ou quarante ans. Ça ne vient plus à l’idée de parler des bonheurs de la vie comme de “choses qui passent” et qui sont sans valeur.

À vrai dire, c’était sûrement une mauvaise stratégie que de dénigrer les bonheurs de la terre pour faire resplendir ceux du ciel. Oui, les bonheurs du ciel sont clairement supérieurs... mais c’est surtout quand on les voit du ciel ! Ils demandent, pour être savourés, de purifier nos désirs, et c’est un travail que tout le monde n’entreprend pas.

Pour la fête de sainte Catherine de Sienne on disait jadis : « les biens qui passent ne sont pour elle que de la boue ». Aujourd’hui, le missel demande plus justement qu’ « en faisant un bon usage des biens qui passent, nous puissions déjà nous attacher à ceux qui demeurent. »

On le voit, même s’il ne s’agit plus de dénigrer la vie présente, il reste qu’un chrétien est quelqu’un qui regarde vers les biens qui demeurent dans la vie éternelle. Et il ne fait pas que regarder : il commence à en vivre. Dans une autre prière nous disons à Dieu : « dans cette existence de chaque jour que nous recevons de ta grâce, la vie éternelle est déjà commencée » (6°préface des dimanches).

Donc nous pouvons déjà goûter le bonheur du ciel. Mais quel est-il ? Quand on regarde le grand commandement que Jésus nous donne — aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même — on devine que le bonheur du ciel sera un profond bonheur d’amour, le bonheur d’aimer et d’être aimé, très intensément. Pourtant, dans l’évangile aujourd’hui (Mc 12,18-27) ça semble mal parti. Ce qui aux yeux de beaucoup est le sommet de l’amour : l’union de l’homme et de la femme qui leur permet à l’occasion d’avoir des enfants, cela n’existera plus au paradis. « Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne se marie pas, mais on est comme les anges dans les cieux. »

Dans ce contexte, est-ce que je ne risque pas de prétendre que l’amour n’est pas l’amour ? Je crois pourtant que l’amour de l’homme et de la femme est donné à beaucoup comme tremplin vers l’amour tel qu’il est pratiqué dans la résurrection. Un tremplin à condition de ne pas se fourvoyer dans les méandres de la convoitise, dans le désir de l’autre qui se fixe sur les satisfactions que l’on peut recevoir et procurer. L’amour est beaucoup plus, il vise tout l’être, le mystère éternel de l’autre. Et il est reconnaissance, action de grâce pour l’autre.

Dans la vie éternelle, on n’épouse pas et on n’est pas épousé, l’amour exclusif laisse place à un autre amour. Cet amour se réjouit de la beauté des êtres sans les avoir à soi. Ce n’est pas une simple camaraderie, et les saints ne vivent pas comme une bande de copains. Leur amour mutuel est plus grand que le plus intense des amours de la terre, puisque dans le ciel les choses ne peuvent quand-même pas être moins intenses qu’ici... Mais toute la dimension de possession a laissé la place à la contemplation, comme on le dit de l’amour envers Dieu.

Je vous dis tout cela pour que vous ne craignez pas de vous ennuyer au ciel, et aussi pour qu’à travers ce que vous vivez dans la vie d’aujourd’hui vous appreniez à aimer d’une façon vraiment éternelle. Autant commencer tout de suite, c’est plus prometteur.