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Ta conversion m’intéresse

homélie des 6 et 7 septembre 2008, 23ième dimanche A

Il y a deux grands textes sur le péché du frère dans les évangiles. Celui que nous venons d’entendre, et le texte où Jésus parle de celui qui a commis une faute contre nous, à qui nous devons faire de vifs reproches et lui pardonner s’il se repent, même si cela doit arriver sept fois par jour. Nous l’entendrons dimanche prochain.

Ici il n’est pas clairement question d’une faute « contre nous ». Le problème n’est pas de pardonner à quelqu’un, mais de voir si celui qui pèche va revenir à Dieu ou pas. C’est ce désir de faire revenir le pécheur à Dieu qui guide toute la démarche, jusqu’à la menace finale d’une exclusion de l’Église : « considère-le comme un païen et un publicain », ce qu’en termes techniques on nomme excommunication. Dans l’Église, l’excommunication a d’ailleurs généralement été considérée non comme condamnation mais comme moyen de faire revenir le pécheur de son égarement (ou parfois, malheureusement, par le même mécanisme, comme moyen de faire entrer telle personne dans les vues de l’un ou l’autre prélat).

Puisque Jésus parle d’avertir toute la communauté, on peut penser que le péché dont il parle est le péché public d’un chrétien, un de ces péchés que nous commettons et qui vient salir tout le témoignage de l’Église, un de ces péchés qui fait parfois dire à ceux qui ne veulent pas nous rejoindre : « quand je vois ce que font les chrétiens je ne veux pas rejoindre l’Église. » Il faut le reconnaître : notre comportement vient parfois invalider tous les efforts que d’autres font pour témoigner en vérité de l’Évangile et de comment le Seigneur change notre vie lorsque nous l’aimons. Heureux sommes-nous alors si quelqu’un vient nous dire : « écoute, ce que tu fais ne convient pas à quelqu’un qui se déclare chrétien. »

Oui, nous sommes heureux si nous pouvons vivre cet échange de reproche fraternel. Pourtant, nous pratiquons rarement ainsi. Nous intentons bien des procès les uns envers les autres dans notre cœur, mais trop rarement nous avons la franchise d’avertir notre frère pécheur. Parfois nous nous disons que pour nous permettre de reprendre ainsi notre frère, notre sœur, nous devrions nous-mêmes être irréprochable. Mais il ne faut pas penser ainsi ; il suffit d’être soi-même prêt à recevoir une réprimande pour sa propre conduite. Et en fait, c’est sûrement ce point qui est le plus délicat pour chacun : suis-je prêt à ce que quelqu’un vienne me montrer mes torts ?

Ce que demande Jésus n’est vraiment possible que s’il y a une disposition à la conversion à la fois chez celui qui va recevoir le reproche et chez celui qui l’adresse. Il y a en effet une diversité de mauvaises raisons. Pourquoi quelqu’un viendrait-il me montrer mes torts ? Pour le plaisir de gouverner ma vie, de mettre tout le monde au pas ? Cela arrive. Pour m’enfoncer, me faire douter de moi, m’avoir à sa merci ? Ce n’est pas rare. Il n’y a que deux bonnes raisons : il viendrait me montrer mes torts car il est partie prenante comme moi du témoignage de l’Église ; et parce qu’il se sent responsable de mon salut : il ne voudrait pas que je me perde.

Je terminerai par là : je suis responsable de mon frère, de son salut (cf. la lecture d’Ezéchiel 33,7-9). C’est important de s’imprégner de cette idée en ces temps d’individualisme forcené. Il ne faudrait pas que nous arrivions devant Dieu en disant comme Caïn : suis-je le gardien de mon frère ? (Gn 4,9)

Oui, je suis le gardien de mon frère, et en même temps je ne peux pas faire abstraction de sa liberté : il pourrait me résister, résister au chemin du bien que même toute la communauté lui montrera. Il me reste une arme : la prière. Nous recevons aussi la mission de prier pour celui qui semble se perdre, comme sainte Thérèse pour l’assassin Pranzini, qui s’exclame, après avoir lu qu’il avait embrassé la croix sur l’échafaud : « J’avais obtenu le signe demandé ; Ah ! depuis cette grâce unique, mon désir de sauver les âmes grandit chaque jour, il me semblait entendre Jésus me dire comme à la samaritaine : “Donne-moi à boire” ».

Voici donc la pédagogie subtile et inflexible de Jésus : va d’abord trouver ton frère seul à seul, rien qu’entre vous deux, pour le désapprouver. Et si cela ne suffit pas, prend avec toi un ou deux témoins, pour ne pas rester dans le domaine subjectif. Et finalement, s’il ne vous écoute pas, dis-le à la communauté toute entière, pour que la pression de l’Église et la crainte d’en être coupé agissent dans le cœur du pécheur. Et s’il faut encore plus, que la personne soit alors exclue, pour se rendre compte dans la durée que sa conversion est nécessaire. Et pendant tout ce temps, et après aussi, priez ! Jésus est au milieu de nous quand nous sommes réunis en son nom, il veut que nous nous mettions d’accord pour demander la conversion du pécheur.