homélie du 8e dimanche A, 27 février 2011

Tous{joomplu:158}, nous nous faisons des soucis. C’est le propre de la nature humaine que de s’inquiéter pour l’avenir. C’est un fruit amer de la conscience de soi qui nous permet par ailleurs tant de belles choses comme de pouvoir créer, inventer, aimer... Cette conscience de soi nous fait nous demander : que vais-je devenir ? Comment mes besoins seront-ils assurés demain, l’an prochain, et quand je serai vieux ? Et si j’ai la charge d’enfants, comment leur assurer un avenir à eux aussi ? La liste des inquiétudes ne connaît pas de limite.

Jésus sait que les soucis assiègent notre esprit. Il voit aussi qu’ils menacent en nous la vie spirituelle. Ne parle-t-il pas de ceux que « les soucis du monde, les séductions de la richesse et tous les autres désirs envahissent », où ils « étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit » ? (Mc 4,19)

Dans l’évangile, les soucis sont associés aux richesses. Non pas d’abord parce qu’être riche cause beaucoup de soucis supplémentaires, mais parce que le désir de se mettre à l’abri des soucis fait accumuler des richesses. Toujours plus de richesses, selon une logique propre à l’argent. Le premier réflexe de l’homme est de se dire : si j’ai suffisamment d’argent, je serai soulagé du souci. Cela lance les êtres humains dans une compétition sans fin, une compétition meurtrière car si la Terre peut nourrir tous ses habitants et leur donner de bien vivre, elle ne peut pas leur permettre d’accumuler pour se garder de toute inquiétude.

Le jugement de Jésus sur l’argent et la richesse est sans appel : il démasque l’idée que l’argent pourrait être un simple moyen d’échange ; en réalité l’argent fonctionne comme un dieu, un dieu qui nous soumet à lui. Le verdict tombe : « vous ne pouvez à la fois servir Dieu et l’argent ». Il n’y a donc aucune façon chrétienne de spéculer. Si investir de l’argent dans quelque chose peut avoir une raison d’être, car cela fait servir l’argent à l’homme, la spéculation, qui consiste à faire de l’argent avec de l’argent, n’est jamais moralement acceptable ; elle fait servir l’homme à l’argent. Il y a bien d’autres façons d’asservir l’homme à l’argent, comme de rêver à ce qu’on pourrait posséder si on avait de l’argent, ou de vivre à crédit.

Comment vivre avec le souci de l’avenir si l’argent ne peut pas être utilisé pour y remédier ? Le vrai chemin est d’accueillir l’évangile qui nous dit : « Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ?’ Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché. » (Mt 6,31-33)

Déjà les prophètes dénonçaient la tendance à chercher des sécurités matérielles, à se fonder sur la puissance humaine pour être rassuré. C’est ce que nous avons lu chez Isaïe. Jésus va plus loin encore. En nous donnant les lys des champs et les oiseaux du ciel à contempler quotidiennement, il veut nous faire prendre conscience de la Providence active de Dieu pour nous.

Ceux qui comptent sur la Providence font souvent l’expérience d’une confiance qui doit tenir jusqu’au bout, mais jamais d’un abandon. Nous avons tellement besoin que les chrétiens témoignent d’une nouvelle économie, où l’argent ne s’engouffre pas dans la spéculation, où l’argent ne travaille pas pour lui-même mais pour l’homme. Dans cette nouvelle économie, nous devenons providence les uns pour les autres, sans autre assurance que celle-ci : Dieu veille sur moi, sur nous puisqu’il l’a dit !

Dieu a donné la Terre en partage à tous les hommes. Notre façon de nous rapporter à l’argent doit le manifester. Fini la recherche des bénéfices maximaux, des taux d’intérêts les plus attrayants ! Le minimum serait de rechercher un placement éthique, ou d’examiner soi-même l’activité de l’entreprise dans laquelle on investit, mais en aucun cas il ne peut être question d’investir dans un fond avec son rendement comme seul critère. Car notre activité économique doit être morale1 ; nous ne pouvons servir Dieu et l’argent.

Mais nous serons plus heureux encore si nous vivons plus à fond l’évangile, si nous mettons notre argent à la banque des pauvres, si nous imitons la générosité de Dieu pour la connaître ensuite à notre tour. Quand notre portefeuille est vide parce que nous nous sommes faits providence pour les autres, nous verrons bien que Dieu le remplit. Mais Dieu ne peut pas remplir notre portefeuille tant qu’il est encore plein...


1Jean-Paul II invite les hommes à « s’employer à modeler un style de vie dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune ; (...) même le choix d’investir en un lieu plutôt que dans un autre, dans un secteur de production plutôt qu’en un autre, est toujours un choix moral » (Centesimus annus §36) bien que « les mentalités technologiques modernes puissent conduire à penser qu’investir soit seulement un fait technique et non pas aussi humain et éthique » (Benoît XVI, Caritas in veritate §40)