homélie du 4e dimanche A, 29 janvier 2017

Quand{joomplu:175} nous entendons dire que Dieu ne veut que notre bonheur, que la preuve c’est ce passage de l’évangile où Jésus dit 8 fois « heureux », nous avons tendance à penser : oui, mais est-ce que ça ne fait pas un peu bisounours, tout ça ? Ce fameux bonheur de la foi, n’est-ce pas un truc plaqué sur nos difficultés ? Une petite distraction pour mystique rêveur ? Mais moi, quand il y a des problèmes à la maison ou à l’école, quand je suis broyé par la jalousie, par les médisances, quand les gens injustes ou manipulateurs semblent triompher, comment puis-je croire à tout ça ? Et pourtant, mes protestations elles-mêmes me disent que je suis fait pour être heureux.

Pour avancer, cela fait du bien de se rappeler dans quelle ambiance Jésus fait cette annonce des Béatitudes. Nous l’avons entendu dimanche passé : le début de la mission de Jésus se passe avec comme toile de fond l’arrestation de Jean-Baptiste, le prophète juste et intègre mis en prison par le roi magouilleur et vautré. C’est alors que Jésus annonce : convertissez-vous, changez de vie, car le Royaume des cieux est tout proche. Et puis il dit les Béatitudes, comme s’il nous donnait une recette : « heureux les pauvres de cœur ; le Royaume des cieux est à eux ![…] Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ! […] Heureux êtes-vous si l’on vous persécute à cause de moi, car votre récompense est grande dans les cieux ! »

Qu’est-ce que ça veut dire ? Car quand on pleure on n’est pas heureux. Quand on se moque de nous, c’est difficilement supportable. Jésus ne donne pas une recette pour mazos, mais il explique le chemin qu’il est en train lui-même d’ouvrir à travers le mal, les injustices, les moqueries, toutes les faiblesses. Comme s’il disait : « oui, il y a le mal, et c’est là-dedans que je rends possible un monde nouveau ; et il commence dans vos cœurs ». Il peut dire tout cela à la foule parce que c’est ce qu’il vit. D’ailleurs c’est toujours comme cela avec ce qu’on lit dans l’évangile. On peut toujours essayer de le comprendre en se demandant : Jésus, comment as-tu vécu ce que tu dis ? Car s’il y a bien quelqu’un qui a fait ce qu’il disait, c’est bien le Christ.

Alors, au milieu de ce monde injuste où les manipulateurs semblent gagner, il dit : « heureux les pauvres de cœur ; le Royaume des cieux est à eux ! » Et nous voilà libéré de l’amertume, ou du désir de faire comme les autres pour réussir. Nous, si nous voulons réussir, nous serons pauvre de cœur. C’est-à-dire qu’au lieu de compter sur notre force de persuasion, sur nos arguments, sur nos relations, sur nos talents, nous compterons d’abord sur la force d’en-haut, sur le pouvoir du Père en qui nous mettons notre confiance. Jésus n’a fait que ça, compter sur son Père. Et quand tout le monde le trahissait, il avançait quand-même, et il remportait la victoire, parce qu’il y a Dieu !

Qu’est-ce que cela veut dire, compter sur la force d’en-haut ? Je voudrais prendre un exemple : on se demande comment faire pour que les jeunes restent dans les églises. C’est déjà mal parti de parler ainsi. Demandons-nous plutôt comment faire pour que les jeunes trouvent le Christ, puissent l’accueillir dans leur cœur, puissent vivre avec lui chaque jour. Mais on se dira : je ne sais pas faire ça… Je peux les animer, leur raconter des belles histoires, mais je ne sais pas mettre le Christ dans leur cœur. Eh bien non, il faut compter sur la force d’en-haut, sur l’Esprit Saint ; il faut être pauvre de cœur. Si les jeunes voient des gens au cœur simple et bon qui s’attachent à Dieu de tout leur cœur sans faire des comparaisons — au lieu de gens qui se disputent et murmurent les uns contre les autres —, si les jeunes rencontrent des pauvres de cœur, ils goûteront ce que c’est que de vivre avec le Christ et ça leur donnera envie. Ne soyons pas effrayés si nos plans pastoraux ne marchent pas fort. Ne mettons pas la faute sur tel ou tel, sinon sur la division entre nous. L’Église vit à fond ce qu’on lisait dans le prophète Sophonie au début de la messe, ce que le Seigneur disait : « je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du Seigneur. » Soyons ce peuple pauvre et petit, c’est-à-dire ce peuple qui prend pour abri le nom du Seigneur, d’autant plus qu’il se sent tout petit.

Connaissez-vous l’histoire du frère Marc de Tibériade ? Un jour, au début de la fondation de la communauté, ses frères lui ont dit, à lui le fondateur : Marc, nous pensons que tu n’as plus ta place parmi nous, tu devrais partir réfléchir un peu. Quelle arrogance ! Quelle gifle ! Est-ce que le frère Marc s’est démené en criant, en menaçant ? Non, il est parti sans claquer la porte, en disant aux frères de lui faire signe quand il pourrait revenir. Quelle humilité, quel abandon à la puissance de Dieu seulement, quelle pauvreté de cœur ! Et c’est comme ça que le Seigneur a pu travailler le cœur des endurcis et y ouvrir une brèche. Et Marc a pu revenir, et cette communauté a connu un développement formidable. Que cela nous serve de leçon ! Quand nous sommes pris dans les filets des murmures ou de l’incompréhension, prenons le chemin de l’humilité, sans nous apitoyer sur nous-mêmes, mais avec espérance, parce qu’il y a Dieu.

Bon, je devrais vous parler aussi des autres Béatitudes… Je vous laisse faire le travail à la maison, vous demander comment le Christ les a vécues — comment il n’a pas eu peur de pleurer, comment il a osé être doux et affamé de justice —, et suivre son chemin. C’est un chemin de lumière, un chemin où notre cœur est rempli d’amour, de force, par l’Esprit Saint. En avant, amis du Seigneur !