L’incarnation du Fils nous a fait connaître à quel point Dieu nous aimait, pour devenir l’un de nous, prendre toute la condition humaine, avec ses innombrables contraintes. Cela nous a aussi fait connaître à quel point l’homme est grand, pour pouvoir accueillir tout entier le Dieu infini qui est au-dessus de tout. À une époque où l’on voudrait que l’homme soit un animal plus ou moins comme les autres, il est bon de constater la grande dignité de tout homme par le simple fait qu’il est homme, quelles que soient ses capacités, parce que Dieu a pu se faire l’un de nous.

Aujourd’hui nous fêtons celle par qui cet événement énorme a eu lieu : la Vierge Marie, Mère de Dieu. C’est la fête de la maternité divine de Marie, une fête qui est en quelque sorte une conquête de la foi. Aux IVe et Ve siècles, au fur et à mesure que des questions de foi se posaient, de grands débats agitaient l’Église. On avait à peine résolu la question de la divinité de la Deuxième Personne de la Trinité, proclamant que le Fils n’était pas un sous-dieu mais « vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas créé » (Concile de Nicée, 325), qu’un problème survenait au sujet de l’Incarnation. Car tout le monde était d’accord pour dire que le Fils consubstantiel au Père avait « pris chair de la Vierge Marie », mais en quoi Marie était-elle mère ? Mère de l’homme Jésus, ou mère du Christ tout entier et donc aussi mère de Dieu ? Le patriarche de Constantinople, Nestorius, avait fait part de son objection : « je refuse de voir un Dieu formé dans le sein d’une femme ». Pourtant, affirmer que Marie serait mère de l’humanité du Christ seulement, c’était introduire une séparation dans le Christ, et barrer la route à ce que bientôt on allait proclamer du Christ : il est vraiment Dieu et vraiment homme, Dieu comme le Père et homme comme nous, sans confusion et sans séparation, en une seule personne (concile de Chalcédoine, 451). Oui, dans le Christ on ne peut pas séparer la divinité et l’humanité, si bien qu’il faut dire que Marie est Mère de Dieu.

Alors, la rencontre de Dieu avec notre humanité est totale. Quand nous disons « sainte Marie, mère de Dieu », nous proclamons à quel point tout ce qui est humain en nous est visité par Dieu lui-même et appelé par Dieu. Le Verbe s’est fait toute notre chair. Cela veut dire que le chemin de la joie pour nous, c’est d’accepter que tous nos désirs, toute notre sensibilité se laissent aimanter par Dieu. Qu’il n’y ait pas en nous de zone d’humanité inaccessible à l’appel de Dieu ! Cela veut dire prendre tout notre désir et notre sensibilité, tous nos mouvements intérieurs, et même tout ce qui gémit en nous, et les orienter dans le sens de la louange, de la reconnaissance, de l’amour de charité. Que tout en nous, que tout ce qui vibre ou bouillonne en nous, glorifie le Seigneur fait chair ! J’y pensais en entendant le Cantique des cantiques hier matin aux vigiles. Ce Cantique si attentivement médité dans l’Ordre cistercien. Comme il nous parle avec des mots très sensibles de l’amour humain le plus émouvant et captivant ! Il y a là l’invitation à se saisir de tout notre être dans le service de Dieu et l’union à Dieu. C’est le chemin de la joie du don total de soi, où aucune partie de nous-mêmes n’est oubliée mais tout est orienté.

C’est pourquoi l’Église a une morale qui touche tous les aspects de la vie, des plus sociaux aux plus intimes, afin que tout ce qui nous concerne et se vit en nous soit orienté dans le sens de l’amour, du don véritable de soi. Le don de soi produit en nous une joie divine lorsqu’il est total, lorsqu’il sollicite tout ce que nous sommes. Car c’est ainsi que vit Dieu et Dieu s’est fait notre chair dans le sein de Marie mère de Dieu.

Dieu s’est fait chair. Laissons toute notre chair le louer. Nous avons reçu de pouvoir devenir enfants de Dieu et nous avons Marie pour mère.