homélie du 3e dimanche de Pâques

La résurrection du Christ d’entre les morts est parfois présentée comme une expérience subjective des disciples, un événement qui se passait dans leur cœur mais pas dans le fil historique du monde. À l’appui de cette théorie on peut invoquer le phénomène étrange de la discordance des récits des apparitions de Jésus à ses disciples. Les récits ne racontent pas les mêmes événements. Et pourtant ils concordent sur plusieurs points fondamentaux : le Jésus ressuscité est vraiment le Jésus crucifié, bien qu’en même temps tous peinent à le reconnaître. On peut le toucher et en même temps on ne le touche pas. Chaque fois les disciples sont réticents à admettre la présence réelle de Jésus.

Manifestement, ces apparitions de Jésus ressuscité sont autre chose que ce qui monte du cœur des disciples. Elles sont des événements qui se sont présentés à eux du dehors, et qui les ont convaincus malgré leurs doutes1. Quant à notre gêne devant la résurrection, est-elle si différente de celle des apôtres qui, d’après l’évangile, croient voir un esprit, sont plein de stupeur et de crainte, n’osent pas y croire, restent saisis d’étonnement… Ce qui se passait sous leurs yeux dépasse ce qu’ils étaient prêt à croire comme cela dépasse ce que nous sommes prêts à accepter.

Pour passer de l’incrédulité à la foi, les apôtres ont bénéficié d’apparitions de Jésus. Et nous, qu’est-ce qui nous aidera à faire le même passage ? Nous sommes en droit de demander l’aide de Dieu pour croire, car notre situation n’est pas enviable bien que nous puissions nous appuyer sur un peuple immense de témoins de la foi. Le Christ ressuscité nous invite à vivre le christianisme autrement qu’un simple message éthique de bonté. Il s’agit d’envisager toute notre vie sur le mode d’une consécration à l’invisible, au monde du Royaume de Dieu qui attend de nous audace et espérance. Que le Seigneur nous fasse sentir qu’il est réellement passé dans un autre monde, où il ne s’est pas enfui mais d’où il se fait très proche, très intime de chacun de nous.

En guise d’aide à la foi je voudrais méditer un peu sur la condition de Jésus ressuscité à la lumière de la physique contemporaine. La théorie de la relativité générale de Einstein et les travaux de Friedmann et de Lemaître sur le big-bang nous placent dans une situation assez intéressante pour comprendre comment Jésus peut être entré dans un autre monde. Depuis la théorie du big-bang nous savons que l’espace et le temps ne sont pas des réalités qui préexistent à toutes les choses qui nous entourent et où se déroule notre vie. L’espace et le temps existent seulement avec le début de l’univers matériel et physique où nous nous mouvons, et cela laisse la possibilité d’un autre monde qui n’est pas soumis aux distances et au déroulement du temps. Puisque Jésus ne ressuscite pas comme Lazare ou le fils de la veuve de Naïm revenus à la vie terrestre, on peut penser que sa nouvelle vie, qui est réelle et concrète, relève de cet autre monde soumis à d’autres lois que celles de la physique et de la chimie de notre univers. C’est ainsi que nous le voyons entrer sans frapper dans la salle où les disciples se sont enfermés à double tour (Jn 20,19), proposer à ses disciples de le toucher, manger du poisson (Lc 24,39.43), et en même temps dire à Marie : « ne me retiens pas, je ne suis pas encore monté vers mon Père et votre Père » (Jn 20,17). Les manifestations de Jésus ressuscité sont comme des visites de Jésus depuis son nouveau monde, un monde qui englobe le nôtre tout en fonctionnant très différemment. Ce monde que l’on pourrait appeler le monde de la résurrection de la chair, où le Christ nous invite, lui le « premier né d’entre les morts » (Col 1,18).

S’il est clair qu’aucun instrument scientifique n’est capable de s’abstraire de la physique de l’univers, qu’aucune mesure ne nous montrera jamais ce monde de la vie éternelle, la foi peut se révéler un véritable mode de connaissance de cet autre monde que la science admet. Je crois que notre esprit humain possède un émetteur-récepteur qui peut nous faire franchir cette barrière des mondes et communier au Christ d’une façon bien plus concrète que par le mode du souvenir. C’est maintenant que nous pouvons le rencontrer, et le maniement de cet émetteur-récepteur se fait par la prière, l’oraison où le « je » que je suis dit « tu » à Dieu.

Cela ne peut se faire que dans le présent, seul point de contact possible entre un monde sans temps et un monde régi par le temps. C’est pourquoi la prière qui consiste non pas à penser devant Dieu mais à être présent pour Dieu et à Dieu permet d’entrouvrir le ciel.


1 voir Joseph Ratzinguer, Foi chrétienne hier et aujourd’hui, p.220