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Vivre en choisi. L’élection

homélie du 17 août 2008

Pourquoi lisons-nous encore l’Ancien Testament ? Souvent quand nous le lisons nous devons faire une gymnastique de l’esprit, nous rappeler que le Christ a accompli la Loi et que beaucoup de choses que nous lisons doivent recevoir une interprétation allégorique, être prises de façon imagée... Mais finalement, pourquoi le faire, pourquoi ne pas en rester à cette partie de la Parole de Dieu qui nous parle directement de Jésus ?

Nous lisons encore l’Ancien Testament à cause de l’attitude de Jésus envers la Cananéenne des territoires de Tyr et Sidon. Jésus rappelle bien à cette femme qu’il est venu d’abord pour le peuple élu. Cela nous choque, mais nous devons d’abord réfléchir un peu à ce que ça veut dire : le peuple élu, les brebis d’Israël.

Lorsque Dieu crée l’homme — c’est-à-dire lorsqu’au cours de l’évolution voulue par Dieu un des êtres vivants accède à la conscience de soi et devient capable de réfléchir sur cette connaissance qu’il a du monde et de lui-même — la première révélation qu’il fait de lui-même est cette sensibilité intelligente qu’il donne à l’homme, qui lui permet de se poser la question : d’où est-ce que je viens ? Quelle est ma destinée ? Y a-t-il un être qui a créé tout cela ? Puis-je communiquer avec lui ? La première révélation de Dieu à l’homme se trouve dans cette capacité de l’homme à chercher Dieu et à entrer en relation avec lui. C’est une des composantes de ce que la Genèse suggère en disant : Dieu créa l’homme à son image.

Pendant des millénaires, Dieu se fait connaître à l’homme à travers les recherches du cœur de l’homme. Puis il passe à la vitesse supérieure, sans doute quand la culture a accédé à un niveau suffisant pour intégrer de nouvelles attitudes et connaissances. Dieu se choisit alors un homme et un peuple, pour cheminer avec lui, pour lui faire connaître de plus près sa mentalité, sa façon de voir la vie et l’amour. Dans notre tête, choisir rime avec exclure, car nous ressentons aussitôt en nous-mêmes la trace d’une expérience douloureuse où d’autres ont été choisis tandis que nous restions sur le carreau. Il nous faut dépasser cette impression, comme beaucoup d’impressions désagréables qui montent de nous-mêmes quand la Bible vient explorer — parfois sans ménagement — les profondeurs de notre âme. En dépassant ces premières impressions nous devenons capables de comprendre que choisir est une attitude propre à l’amour. Dans l’amour, à la différence de la simple bienveillance, il y a une dimension de choix. Celui que nous aimons devient notre choisi, l’élu de notre cœur. Nous le disons facilement pour parler d’une fiancée, d’un fiancé, mais en réalité il devrait en être ainsi aussi de tous ceux que nous choisissons d’aimer, à commencer par le pauvre qui est au milieu de nous.

Dieu choisit un peuple, le peuple “élu”, pour l’initier à la relation d’amour avec lui. Et sa seule raison, c’est l’amour : « Si le Seigneur s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. C’est par amour pour vous, et par fidélité au serment fait à vos pères. » (Dt 7,7-8)

Ce choix d’un peuple, cette élection, elle n’est pas une exclusion des autres peuples. Avec le Christ, comme déjà Isaïe l’avait annoncé (Is 56,6-7), tous les peuples peuvent entrer dans l’élection, dans la relation d’amour privilégiée avec Dieu.

C’est ici que l’histoire de la Cananéenne nous fait sentir les conditions pour vivre cette relation privilégiée. Tant que nous croyons que nous avons droit à ce que Dieu nous aime, puisqu’il nous a créé alors que nous n’avons pas demandé à être, nous ne pouvons pas connaître l’amour de Dieu, nous ne pouvons rien expérimenter de la joie de cet amour posé sur nous. Or c’est une attitude si répandue. Nous agissons alors comme Jésus croyait que la Cananéenne agissait. Et Jésus la rabroue en lui disant qu’en dehors de l’élection il n’y a pas moyen de connaître son amour (non pas en disant qu’il ne l’aimait pas, mais qu’il n’y a pas moyen d’expérimenter cette amour hors du lien avec Israël, ici sous forme d’une guérison.)

Abruptement, Jésus rappelle que personne n’a de droits naturels sur Dieu, mais que nous devons entrer dans la logique des choisis. La femme entre dans cette logique, elle trouve le moyen de se rattacher au peuple élu : regarde-moi comme le petit chien de l’enfant, je considère un lien entre l’enfant et le petit chien... Jésus reconnaît alors sa foi, qui la rend capable d’accéder aux dons de son amour. La Cananéenne se rattache par la foi au peuple élu, elle veut se regarder comme choisie.

Pour notre part, cessons de faire de l’amour de Dieu quelque chose d’automatique. L’amour de Dieu, ce n’est pas une loi de la nature, c’est un choix de son cœur envers moi, qui fait de moi son élu au milieu de son peuple élu. L’élection d’un peuple au cours de l’histoire, puis de tous ceux qui auront foi au Christ, me rappelle que si je peux aimer Dieu, c’est qu’il m’a choisi, que son cœur me cherche. Enfin, pour vivre en choisi, il ne suffit pas d’un rappel théorique. Si nous voulons connaître l’amour de Dieu pour nous, faisons à Dieu une prière de reconnaissance pour avoir été choisi, élu de son cœur. C’est ce que Dieu demande à son peuple depuis 4000 ans, dont nous avons témoignage tout au long de l’Ancien puis du Nouveau Testament.